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Cartographie de la recherche universitaire française sur le Portugal et l’Afrique lusophone

Par Maria Graciete Besse

Publié en ligne le 28 septembre 2006

L’inventaire de la recherche doctorale dans le domaine lusiste permet de jeter un regard sur les tendances, mais aussi sur la situation et l’avenir de notre discipline. Avant de présenter les résultats de cette enquête, il faudrait dire que notre inventaire n’a aucune prétention à l’exhaustivité dans la mesure où les données, forcément incomplètes, ont été assez difficiles à obtenir. Malgré tout, l’information collectée constitue un matériau de base intéressant qui peut nous aider à dresser un état des lieux de la recherche développée en France sur le Portugal et l’Afrique lusophone.

La situation du Portugais est actuellement assez difficile, en particulier dans le secondaire, ce qui explique en partie  les faibles effectifs que nous avons à l’Université. La décision prise par le Ministère, en 2004, de n’ouvrir que tous les deux ans, en alternance, les concours de recrutement fragilise encore davantage une situation déjà sensible. Il est à craindre que la prochaine diminution ne soit la suppression de l’enseignement du Portugais dans le secondaire, ce qui condamne à terme la discipline.

Il y a actuellement 18 professeurs de rang A en France, répartis dans les universités suivantes : Aix-en-Provence, Bordeaux III, Grenoble, Lille III, Montpellier III (2 professeurs), Nancy II, Nantes, Poitiers, Rennes II (2 professeurs), Toulouse-le-Mirail, Paris III (3 professeurs), Paris IV, Paris VIII et Paris X.

Un seul centre de recherche est entièrement consacré au Portugais, le CREPAL de Paris III, qui publie régulièrement une revue et dont parlera Madame Jacqueline Penjon.

Dans toutes les autres universités, la recherche lusiste n’est pas autonome, elle est toujours intégrée à des groupes pluridisciplinaires, d’Espagnol et/ou de langues romanes.

A Paris IV, nous avons, depuis 2004, les Séminaires Lusophones, composante du CRIMIC (Centre de recherche sur les mondes ibériques contemporains) dirigé par Sadi Lakhdari et Milagros Ezquerro. Il s’agit d’une équipe d’accueil (EA2561) qui fonctionne avec des séminaires mensuels, des journées d’études et des colloques. Nous mettons actuellement en  place un projet de colloque, prévu pour juin 2007, qui réunira un certain nombre de membres du groupe (lusistes et hispanistes), ainsi que des intervenants extérieurs, autour de la question de la fin des grands récits de légitimation dans le monde ibérique et ibéro-américain. Dans le cadre lusophone, par-delà les séminaires mensuels, nous avons l’intention d’organiser à court terme deux manifestations, l’une sur la voix des femmes dans les littératures de langue portugaise, et l’autre consacrée aux migrations et à l’identité hybride des lusodescendants. A plus long terme, nous envisageons de réunir les spécialistes de l’œuvre de José Saramago, lors d’un grand colloque international à réaliser à la Sorbonne.

A Paris VIII, la recherche dans le domaine portugais est tournée en particulier vers la linguistique et intègre l’équipe de Linguistique du Centre de Recherche en Littératures et Civilisations  Romanes, « Approches comparatives des langues romanes : discours, lexique, grammaire ». Les travaux de l’équipe sont publiés régulièrement dans la revue Travaux et Documents. L’un des numéros de cette revue (2000) a fait paraître les actes d’un colloque organisé en 1999, en collaboration avec le Conseil Général de la Seine-Saint-Denis, intitulé « De la Révolution des Œillets au 3ème millénaire. Portugal et Afrique Lusophone : 25 ans d’évolution(s) ».

En ce qui concerne Paris X, la recherche est orientée essentiellement vers le Brésil. Les chercheurs lusistes font partie du Centre de Recherches Ibériques et Ibéro-Américaines. La responsable du Portugais est aussi la coordinatrice d’un Centre de recherches interdisciplinaires sur le Brésil et le monde lusophone. Elle a co-organisé, en 2003, un colloque franco-capverdien, intitulé « Langue et mémoire au Cap Vert ». En 2000, elle avait organisé, en collaboration avec le Centre des Archives d’Outre-Mer et l’Université d’Aix-en-Provence, un colloque international, « Eclats d’empire : du Brésil à Macau ». D’autres rencontres sur le Portugal et l’Afrique lusophone ont été réalisées, dont les résultats ont paru dans la revue Crisol, publication du CRIIA. L’ouverture d’une chaire de Portugais (Lindley Cintra) par l’Institut Camões à Paris X,  a permis de réaliser  un certain nombre de manifestations scientifiques à Paris. L’appui de la Fondation Gulbenkian n’est pas négligeable non plus.

Si nous regardons maintenant du côté des universités de province, nous obtenons les informations suivantes :

  • Aix-en-Provence : les lusistes sont associés à un groupe de recherche interdisciplinaire de langues romanes. Un colloque a été organisé en 2000, en collaboration avec le Centre des Archives d’Outre-Mer et l’Université de Paris X-Nanterre, que nous avons déjà évoqué plus haut, intitulé « Eclats d’empire : du Brésil à Macau ».

  • Bordeaux : les lusistes intègrent un groupe de recherche de Lettres Modernes sur l’imaginaire (LAPRIL) et un groupe d’hispanistes (ERPI).

  • Clermont-Ferrand : la recherche en Portugais se développe au sein du CRLMC (Centre de Recherches sur les Littératures Modernes et Contemporaines), équipe d’accueil EA 1002, dirigée par Alain Montandon. L’université Blaise Pascal bénéficie aussi d’une chaire de Portugais (Sá de Miranda), créé par l’ICA, qui permet un certain développement des événements culturels autour du Portugal.

  • Grenoble : le Portugais développe sa recherche autour du Centre de recherches et d’études lusophones et intertropicales et possède depuis 1989 une revue – TAIRA –, dont la publication est irrégulière.

  • Lille 3 : l’institut Camões y a installé récemment un Centre de Langue. Les lusistes sont rattachés au CREATHIS : Création et Histoire dans le Monde Hispanique en Italie et au Portugal - EA1064 ; ils ont organisé l’an dernier un important colloque sur le tremblement de terre de 1755.

  • Lyon 2 : il y a aussi un Centre de Langue de l’ICA. La recherche est associée à l’Unité EA 1853, Langues et cultures européennes (LCE), divisée en plusieurs sous-groupes. Le Portugais est présent dans le volet « Littérature et mythe » qui regroupe les littératures allemande, anglaise, espagnole, portugaise, russe, française, classique. Il est dirigé par Jean-Charles Margotton. Le groupe publie ses travaux dans la revue Textures (le dernier volume (n°12) est consacré à la transgression).

  • Montpellier 3 : le Portugais intègre l’équipe d’accueil ETILAL (Etudes Ibériques Latino Américaines et Lusophones), créée en 1998 et dirigée par R. Carrasco. Les thèmes de recherche s’organisent autour de 3 volets : héritages et constructions identitaires, transitions littéraires et la traduction littéraire. Un colloque vient d’avoir lieu en avril dernier sur la traduction, où le domaine lusophone était bien représenté. Les lusistes de cette université assurent la publication de la revue Quadrant, créée en 1984 par le Prof. Adrien Roig, et dont 22 numéros sont parus à ce jour, c’est-à-dire plus de 20 années de publication régulière. Par ailleurs, elle est dotée de tables décennales qui constituent un outil de recherche précieux pour les chercheurs, permettant le repérage rapide des sujets sur lesquels ils travaillent et des auteurs qu’ils étudient. Il faut saluer la longévité et la régularité de cette revue qui publie des essais, des inédits d’écrivains et est bien connue dans le monde de la recherche en domaine lusophone.

  • Nancy 2 : il existe un groupe de recherche « Culture et histoire dans le monde luso-hispanophone » qui organise des colloques annuels, dont un consacré en partie à l’identité portugaise, intitulé « Approche pluridisciplinaire de l'identité culturelle dans le monde luso-hispanophone ».

  • Poitiers : la recherche lusiste se développe au sein du CRLA, qui fait partie de l’UMR 8123 du CNRS, avec trois équipes : Archivos, les hispanistes et les brésilianistes. Les travaux des équipes sont consacrés essentiellement au Brésil et à la littérature de cordel (Fonds Raymond  Cantel). Le centre accueille beaucoup de doctorants brésiliens et africains. Un Centre de Langue a été créé récemment à Poitiers par l’ICA, ce qui permettra certainement de dynamiser le volet recherche sur le Portugal. C’est un ancien professeur de Poitiers, R.A. Lawton qui a créé en 1984, l’Association Internationale des Lusitanistes, responsable de l’organisation de plusieurs colloques. Ce même professeur, décédé en 1994, a dirigé pendant deux ans la revue Sillages (1972-1974).

  • Rennes : les collègues de Portugais font partie de l’équipe ERILAR (Equipe de Recherches Interdisciplinaires en Langues Romanes), équipe d’accueil 2613, composée de 4 laboratoires, dont deux nous intéressent tout particulièrement : le Centre de Recherche sur la Péninsule Ibérique (CERPI) et l’équipe du dictionnaire des particularismes du portugais d’Afrique lusophone qui possède un fonds très important. La recherche sur l’Afrique lusophone a trouvé à Rennes un centre reconnu depuis longtemps. Il y a un an, Rennes a créé un Institut des Amériques, un GIS (Groupement d’intérêt scientifique) qui réunit tous les laboratoires de recherche rennais travaillant sur les Amériques.

  • Toulouse : les lusistes travaillent au sein d’une équipe créée récemment, le CEPIALT (Centre d’Etudes sur la Péninsule Ibérique et l’Amérique Latine de Toulouse), divisée en quatre groupes, sous le chapeau général « Echanges culturels et enjeux de pouvoirs ». Le collègue professeur travaille, à titre principal, au sein du LEMSO (Littérature espagnole médiévale et du siècle d’or), groupe qui réunit l’anglais, l’espagnol, l’allemand, l’italien et le portugais. Actuellement, ce groupe travaille sur le thème du voyage à Jérusalem.

Après ce bref aperçu, nous pourrons constater que la recherche sur le Portugal et l’Afrique lusophone dans les universités citées est toujours intégrée à des groupes de langues romanes, révélant une certaine dispersion. Le nombre très restreint de professeurs et de chercheurs explique certainement cette situation où le manque de cohésion paraît évident.

Il serait intéressant de jeter maintenant  un regard rapide sur les thèses soutenues depuis 15 ans et d’interroger les orientations de la recherche en ce qui concerne le Portugal et l’Afrique lusophone. Pour établir ce bilan de la recherche, nous avons analysé un double corpus : le premier constitué par les thèses soutenues depuis 1990, le second regroupant les recherches en cours d’élaboration. Pour procéder à ce recensement, nous avons utilisé trois moyens : le catalogue du SUDOC, le Fichier Central des thèses et la bonne volonté des collègues qui ont bien voulu répondre à notre enquête.

Grâce au Catalogue du SUDOC, qui permet d’effectuer des recherches bibliographiques sur les collections des bibliothèques universitaires françaises, nous avons pu inventorier 76 thèses soutenues en France dans les quinze dernières années. En ce qui concerne la recherche en cours, nous avons identifié 45 thèses actuellement inscrites à l’Université.

A partir des informations collectées, il est possible de dessiner une topographie des thèses. Personne ne sera surpris d’apprendre que la plupart des travaux de recherche concernant le domaine portugais ont été présentés à Paris, lieu de concentration des études portugaises : 34 thèses soutenues à Paris, 9 à Toulouse, 5 à Bordeaux, 4 à Rennes, 2 à Montpellier et à Poitiers, une seule pour les autres universités. Par contre, en ce qui concerne l’Afrique lusophone, c’est l’université de Rennes qui concentre le plus grand nombre de soutenances de thèse, juste avant Paris. Ce partage territorial se fait évidemment en fonction des centres de recherche et de la localisation des directeurs de thèse.

L’analyse faite à partir des notices bibliographiques des 76 thèses soutenues depuis 1990 peut nous fournir quelques indications précieuses sur les tendances de la recherche développée en France au cours des quinze dernières années. Nous comptons exactement 60 travaux sur le Portugal et 16  consacrés à l’Afrique lusophone. La plupart de ces travaux sont consacrés à la littérature contemporaine, domaine largement privilégié par les chercheurs.

Nous avons remarqué qu’aucun sujet de thèse n’est consacré à la théorie littéraire et ne comporte de dimension philosophique. La majeure partie des travaux sont monographiques et thématiques. Les méthodologies relevant de la narratologie, de la sociologie, de la psychocritique ou de la génétique textuelle ne sont pas lisibles dans les titres proposés.

Un partage par genre littéraire nous permet d’observer que la poésie et le roman portugais se trouvent pour ainsi dire en tête du classement :

  • 12 thèses sur la poésie portugaise,

  • 10 thèses sur le roman,

  • le théâtre donne lieu à 7 thèses,

mais peu de travaux sur le conte ou les revues littéraires, aucune thèse sur l’essai.

Cette énumération nous montre à quel point les travaux sont largement répartis entre la poésie et le roman. Cependant, nous pouvons constater aussi une grande dispersion dans le choix des sujets de thèse et la désaffection apparente pour certains champs de recherche. En effet, les doctorants tendent à privilégier les parties les plus célébrées par l’histoire littéraire et les auteurs faisant partie du canon.

A partir de ce rapide inventaire, nous pouvons également constater que les études littéraires sur le XXe siècle portugais prédominent nettement, constituant un champ saturé. De même, les données rassemblées mettent en lumière les insuffisances du potentiel de recherche concernant la littérature classique ou l’époque des Lumières. Le quadrillage du champ investi nous démontre aussi l’existence de vides étonnants : le théâtre draine actuellement très peu de thèses, les revues littéraires n’intéressent pas beaucoup d’étudiants, l’essai peut être considéré comme le parent pauvre de la recherche. Les travaux sur des aspects de théorie littéraire ou les mouvements esthétiques sont pratiquement absents. Dans le domaine de la civilisation, des pans entiers de la culture portugaise restent en jachère, comme d’ailleurs dans le domaine de l’Afrique lusophone.

Ce bref état des lieux, même s’il est incomplet, nous permet de définir les grandes tendances de la recherche dans nos universités ainsi que les orientations susceptibles d’être envisagées pour notre enseignement futur dans la mesure où il existe une articulation évidente avec les cursus universitaires. Les directeurs de recherche sont actuellement peu nombreux et ils ne peuvent pas tout faire. Pour contribuer à une meilleure structuration du champ des recherches universitaires, il faudrait certainement engager une réflexion sur le lien entre la formation des étudiants dans les premiers cycles universitaires et la configuration du champ doctoral. Nous pourrions peut-être élargir l’éventail des lectures proposées aux étudiants de L, et mettre à la disposition des candidats au Master des listes d’auteurs ou de questions peu traitées. Par ailleurs, afin d’élargir les domaines de recherche des doctorants, il nous semble nécessaire de développer les co-tutelles avec des universités étrangères et de faciliter la mobilité des doctorants. Pour cela, il faudrait revoir le financement des études doctorales, multiplier le nombre des bourses et de subventions permettant aux étudiants de mener leur recherche dans de bonnes conditions. Il faudrait aussi envisager de développer l’interdisciplinarité -certains collègues de Littérature Comparée s’intéressent aux auteurs de langue portugaise, mais ils sont encore peu nombreux à proposer des sujets de thèse dans le domaine du comparatisme.

Nous n’avons pas de statistiques sur le devenir des docteurs, mais nous savons qu’un grand nombre se retrouve à la recherche d’un emploi après la thèse. L’enseignement constitue de loin le principal débouché des docteurs. Mais le recrutement en qualité d’ATER (Attaché temporaire de Recherche), offert aux étudiants en fin de thèse ou aux jeunes docteurs, reste aléatoire, tandis que l’obtention d’un poste de Maître de Conférences relève du parcours du combattant. Reste à savoir comment et en fonction de quoi les étudiants choisissent de s’investir aujourd’hui dans une thèse de doctorat, surtout lorsque nous connaissons les conditions précaires dans lesquelles se fait la recherche et le nombre très restreint de débouchés. Mais il faut espérer que la situation difficile du Portugais en France va changer rapidement et que l’avenir nous réserve encore de belles surprises. « Pelo sonho é que vamos », comme le dirait un célèbre poète portugais.

  • Maria Graciete Besse

    Université Paris IV – Sorbonne

Pour citer cet article :  Graciete Besse Maria (2006). "Cartographie de la recherche universitaire française sur le Portugal et l’Afrique lusophone".  Actes des journées d'études de la Société des Hispanistes Français, Poitiers, 12 et 13 mai 2006.

En ligne : http://edel.univ-poitiers.fr/shf/document75.php

 
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